Branche Valmalle,  Généalogie

RDVAncestral en Crimée, en 1855

Temps de lecture : 5 minutes
En septembre 2016, Guillaume du Grenier des Ancêtres a initié le #RDVAncestral : chaque 3e samedi du mois, il s’agit de partir à la rencontre d’un de ses ancêtres et de la raconter… Ce récit, bien que basé sur des faits réels, est donc tout droit sorti de mon imagination. On y va ?

Octobre 1855, au moment où le soleil se couche. Je suis à Eupatoria, j’ai rendez-vous à l’hôpital militaire pour rencontrer Victor Auguste Valmalle, mon arrière-arrière-grand-oncle. Je sais que la rencontre ne va pas être gaie mais j’y vais…

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Carte de la Crimée au XIXe siècle – Source : Cosmovisions

En passant dans le couloir, je trouve une caisse vide délaissée dans un coin… retournée, elle fera un parfait tabouret. Je trouve enfin le grabat sur lequel est étendu Victor.

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Hôpital militaire en Crimée – Source : genealanille.fr

Je m’installe à côté de lui. Il semble dormir et j’en profite pour le détailler : il n’a pas l’air très grand, environ 1,60 m, il est blond avec des taches de rousseur. Je lui prends la main. Il se tourne vers moi et me sourit faiblement :
– Ah, te voilà ! Bonjour Delphine…
– Bonjour Victor, comment te sens-tu ?
– Le médecin m’a dit que c’est la typhoïde… Ça fait 10 jours que j’ai de la fièvre sans interruption… Je suis épuisé, j’ai mal partout… Je voudrais que ça cesse… Mais avant, je dois te raconter…
– Tu es sûr que tu vas avoir la force ?
– Oui, il le faut ! Tu dois savoir, pour pouvoir faire vivre ma mémoire… et celle de mes camarades tombés dans ce pays, dans cette guerre qui ne nous concerne pas…

Première pause dans son récit. Il y a en aura de nombreuses, de plus en plus longues à chaque fois…

– Je suis soldat au 57e régiment de ligne, 4e division d’infanterie Dulac, la brigade St Pol… Mais commençons par le début… Comme tu le sais, je suis né dans les Cévennes il y a 22 ans. Je n’aurais jamais cru que je les quitterais un jour et que je mourrais sans les revoir… Mes parents…

Une larme coule sur sa joue. Il se crispe, je lui laisse le temps de se reprendre. Et je continue à le détailler. Ses yeux, bien que fatigués, sont d’un très beau gris. Son visage ovale est bien proportionné, avec un nez petit et une bouche moyenne.
– Tes parents sont certainement fiers de toi.
– Peut-être mais j’espère qu’ils ne m’en veulent pas trop…
– Pourquoi dis-tu ça ?
– Parce que je suis parti comme remplaçant, pour Auguste Louis Rampon…
Il ne m’en dira pas plus, ce qui me fait attendre avec encore plus d’impatience la réponse aux courriers que j’ai envoyés pour tenter d’en savoir un peu plus sur ce remplacement…

Nouvelle pause… Pendant ces longues minutes, je le vois grelotter sur son grabat, à cause de la fièvre, sans pouvoir faire autre chose que lui serrer la main et lui parler doucement pour le rassurer.

Il reprend son récit. Il revit sa bataille de Malakoff, l’assaut du 8 septembre, au cours duquel la brigade St-Pol était en première ligne, sous le feu ennemi.

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Carte de la bataille de Malakoff – Source : Wikimedia

– A midi moins cinq, quand les bombardements ont enfin cessé, nous sommes sortis des tranchées pour nous précipiter sur les retranchements ennemis… Les Russes, surpris par notre attaque, ont battu en retraite, nous entrainant à leur suite…

Il s’arrête pour reprendre son souffle, je le sens qui s’épuise au fur et à mesure de son récit mais il tient à aller jusqu’au bout de celui-ci.
– Cette poursuite va s’avérer funeste pour nous… La brigade Bisson n’a pu nous rejoindre… et nous sommes tout à coup seuls sous le feu de batteries ennemis sorties d’on ne sait où…

Il s’arrête à nouveau, je vois à ses traits qui se crispent qu’il est à nouveau sur le champ de bataille et revoit certainement ses camarades tomber…
– En plus des bombardements, voilà que de nouvelles troupes… beaucoup plus nombreuses que nous déferlent… Nous battons en retraite, traversons le redan et retournons dans le plus grand désordre dans nos tranchées…

Nouvelle pause…

– Le général St-Pol regroupe quelques hommes et repart à l’assaut mais il est stoppé net… par six balles dans la poitrine, il en est de même pour tous ceux qui l’accompagnent…

Nouvelle pause… encore plus longue que les autres.

– J’ai eu la chance de faire partie des 303 soldats sur les 863 partis qui sont revenus de cet assaut et me voilà terrassé par la typhoïde…

Je ne sais quoi répondre et je me contente de lui serrer la main.

Soudain, son regard devient fixe, sa respiration s’accélère et il serre ma main de toutes ses forces. Je lui parle doucement sans vraiment savoir s’il m’entend et si mes paroles ont un quelconque effet sur lui. Quelques minutes encore et c’est la fin. Il a enfin trouvé la paix. Nous sommes le 22 octobre 1855, à l’hôpital militaire d’Eupatoria (Crimée), il est 8h et le jour se lève.


Sources : 

  • Transcription du décès de Victor Auguste Valmalle, AD de Lozère (Le Pompidou – 4 E 115/8 – Naissances, mariages, décès – (1855), vue 29/34) – c’est parce que je suis par hasard tombée sur cet acte que j’ai voulu en savoir plus.
  • Registre matricule de la troupe – 57e Régiment d’infanterie de ligne, SHD Vincennes (GR 34 YC 2601, matricule n°6013) – j’ai trouvé de nombreux éléments sur Victor Auguste sur sa FM, un autre billet est en préparation…
  • La guerre de Crimée, Cosmovisions – pour un aperçu rapide sur cette guerre complètement oubliée.
  • GOUTTMAN Alain, La guerre de Crimée, Paris : Perrin, 2006 – ce livre est une des références majeures sur cette période.
  • La guerre de Crimée et l’arrondissement de Louhans, Généalanille – cet article très intéressant m’a permis de confirmer certains éléments.
  • Résumé de l’historique du 57e régiment d’infanterie, disponible sur Archives.org – cet ouvrage m’a permis de reconstituer ce qui s’est passé lors de la bataille de Malakoff et je m’en suis largement inspirée pour ce dialogue imaginaire.
  • Bataille de Malakoff : Par Les3corbiers — Travail personnel, CC BY-SA 4.0, disponible sur Wikimedia – m’a permis d’un peu mieux appréhender ce qu’à pu vivre mon arrière-arrière-grand-oncle.

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