D comme Dossier de naturalisation
Faire des recherches sur une famille d’origine étrangère, c’est devoir sortir un peu de sa zone de confort en allant explorer de nouvelles archives, dont on n’a pas l’habitude…
C’est comme ça que fin septembre, je suis allée jusqu’aux Archives nationales à Pierrefitte-sur-Seine.
En faisant une recherche sur Filae sur le patronyme BORGIA, j’ai trouvé la mention d’une demande de naturalisation pour un dénommé Sebastiano BORGIA et un autre, Valentin BORGIA. Je ne les avais pas dans mon logiciel de généalogie donc a priori ils n’étaient pas relié à mes recherches mais j’ai eu un pressentiment… En demandant à ma belle-mère, c’est bien le cas !
J’ai relevé le numéro de décret indiqué sur la fiche et contacté les archives nationales via le formulaire « Faire une demande d’aide à la recherche » de la SIV. Quelques jours plus tard, j’ai reçu un mail de la part d’un des archivistes chargés de l’orientation scientifique du public me donnant la cote à commander et la marche à suivre pour demander la communication de l’extrait concernant mes recherches. Il a fallu environ une quinzaine de jours pour que je reçoive un nouveau mail m’indiquant que les dossiers étaient disponibles et que j’avais dix jours pour aller les consulter. Un petit remaniement d’agenda et me voilà en salle de lecture à consulter le dossier de demande de naturalisation de Sebastiano BORGIA et de son épouse Maria, née BORGIA elle aussi – il s’agit de la tante de mon beau-père, la sœur de son père.
Grâce aux twittos généalogistes, j’avais une vague idée de ce que j’allais trouver dans le dossier… Et je n’ai pas été déçue !
Du classique…
Avec leur état-civil,
celui de leurs enfants,
de leurs parents respectifs
et de leurs frères et sœurs
En comparant avec les données déjà en ma possession, je me suis rendue compte que je pouvais les compléter. Dans le dossier, il y a un certificat de mariage indiquant que Sebastiano et Maria se sont mariés le 17 février 1917 dans le quartier de Calcinere, paroisse de saint Antoine abbé.
J’avais déjà la date du 22 août 1918 pour l’inscription du mariage civil sur les registres de la commune.
De l’historique…
Le dossier comporte les formulaires de demande de naturalisation, c’est logique… Mais on y trouve également toute une série de courrier datant de 1941 et concernant la révision de la naturalisation.
En effet, la loi du 22 juillet 1940 instaure la révision de « toutes les acquisitions de la nationalité française intervenues depuis la promulgation de la loi du 10 août 1927 sur la nationalité ». La commission de révision des naturalisations siège « au ministère de la Justice, elle est rattachée au secrétariat général du gouvernement de Vichy. Présidée par Jean-Marie Roussel, conseiller d’État, la commission compte dix membres : des magistrats et des délégués de divers ministères. L’article 3 de la loi du 22 juillet 1940 stipule que les décrets de retraits de la nationalité sont pris sur le rapport du garde des Sceaux après avis de la commission de révision. Celle-ci siège à Paris, et non à Vichy, car il s’agit d’examiner des centaines de milliers de dossiers de naturalisation, qu’il est impossible de déplacer. Le bureau du Sceau au ministère de la Justice assure le secrétariat et communique les dossiers aux magistrats rapporteurs chargés de les étudier avant de présenter les cas lors des séances de la commission. Celle-ci émet un avis de maintien ou de retrait. Une enquête plus poussée, notamment auprès des préfets, peut être diligentée. Si l’avis de retrait est suivi par le garde des Sceaux, un décret de retrait de la nationalité est prononcé à l’encontre de ceux qui ont été « jugés indignes de conserver notre nationalité ». »
L’enquête menée sur la famille Borgia par les commissaires mandatés, malgré la condamnation de Sebastiano en 1924, se révèle sans élément pouvant conduire à un retrait de nationalité.
De l’inattendu…
« Le 4 décembre 1924, les gendarmes MACLE et TISSOT passaient rue Pasteur à Salins lorsqu’ils aperçurent un individu en état d’ivresse manifeste qui se dirigeait vers le café VERNIER ; l’ayant appréhendé, ils se disposaient à l’emmener à son domicile, lorsqu’ils furent soudain rejoints par une dizaine d’individus parmi lesquels se trouvait BORGIA qui les entourèrent, menaçants, gesticulants et poussant des clameurs ; ils crièrent notamment : « Vous n’emmènerez pas cet homme, il n’a ni tué ni volé, arrêtez donc les assassins ! » BORGIA Sébastien paraissait le plus acharné. Il porta la main sur l’ivrogne pour le dégager. Devant l’attitude hostile de ces individus, les gendarmes durent relâcher l’ivrogne et se retirer. Peu après, les mêmes gendarmes arrêtaient dans la même rue, un second individu en état d’ivresse qu’ils durent rendre également à la liberté, à cause de l’intervention de la même bande menaçante. Dans la soirée, le chef de la brigade de gendarmerie de Salins, mis au courant de ces faits, se présenta à la cantine PRATINI, accompagné de tous ses gendarmes. BORGIA saisi au corps par les agents de l’autorité se dressa, menaçant, hautain et grinçant des dents ; il proféra à l’adresse des gendarmes : « Vous êtes des lâches, des fainéants, vous n’êtes bons qu’à arrêter les ivrognes ; vous laissez courir les assassins ». Devant cette attitude et pour éviter une scène tragique, les gendarmes se retirèrent et rentrèrent à leur caserne. »
Cela a valu à Sebastiano 3 mois de prison pour « outrages et rébellion » et un ajournement de sa demande de naturalisation.
Bonus
En faisant des recherches en ligne sur les italiens ayant émigré dans le Jura, j’ai trouvé une référence au Dépouillement du registre d’immatriculation des immigrants (1893-1920) de Franche-Comté par le CEGFC. Dans la base de données en ligne, j’ai trouvé le nom de Sebastiano. Après un échange par mail avec les personnes mentionnées sur le site, j’ai reçu une copie du dossier de naturalisation conservé aux Archives départementales du Jura avec, en prime, une copie des pages de la condamnation de 1924. J’avais donc en ma possession deux exemplaires du dossier de demande de naturalisation… Pour une première exploration de ces archives, j’ai été plus que chanceuse !
Il y a à l'origine deux dossiers, un aux AD du département de résidence et un aux AN, mais je crois que le contenu n'est pas exactement le même et que les AD n'ont pas toutes conservé ces dossiers.
— Racines en Vénétie (@venarbol) October 12, 2019
Sources :
- dossier de demande de naturalisation de Sebastiano & Maria BORGIA, Archives nationales, BB 11 12423
- dossier de demande de naturalisation de Sebastiano & Maria BORGIA, Archives départementales du Jura
- acte de mariage de Sebastiano & Maria BORGIA, FamilySearch, Paesana, matrimoni (1918), vue 19/42
- « Les étrangers en Franche-Comté », site du Centre d’entraide généalogique de Franche-Comté (CEGFC)
- relevé de condamnation de Sebastiano, Archives départementales du Jura
- POINSOT, Annie ; RAQUIN, Bernard. « Identifier, connaître et compter les victimes « absolues » de la dénaturalisation (1940-1944) », Connaître les dénaturalisés de Vichy : La base Dénat, un nouvel outil et ses exploitations. Pierrefitte-sur-Seine : Publications des Archives nationales, 2019. [en ligne], URL : http://books.openedition.org/pan/1291
7 commentaires
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Fanny-Nésida
Belles découvertes et intéressante analyse.
Delph Valmalle
Merci 😊
Fanny-Nésida
Que de découvertes, intéressante analyse
Christelle
Quelle chance Delphine d’avoir retrouvé toutes ces informations ! Et bravo pour l’article.
Delph Valmalle
Oui, c’était inespéré de trouver autant d’éléments ! Merci Christelle !