I comme Impasse
Un enfant abandonné sur une branche, c’est la quasi certitude d’aboutir à une impasse. Aussi, quand j’ai trouvé l’acte de mariage des grands-parents paternels de mon beau-père et découvert que sa grand-mère était née de parents inconnus, je me suis dit que je n’allais pas trouver grand-chose sur cette branche.
Je me suis mise en quête d’un moyen de donner un peu d’épaisseur à cette ancêtre de mon conjoint pour qu’elle ne reste pas « celle qui est née de parents inconnus » et j’ai commencé à me documenter sur les enfants abandonnés en Italie au milieu du XIXe siècle. Ah oui, parce que pour faciliter les choses, ça se passe en Italie !
Agostina, l’enfant abandonnée
Agostina Eurasia ACARNE est née à Turin, le 15 mai 1866. Grâce aux numérisations d’une partie de l’état-civil italien sur FamilySearch, je sais qu’elle épouse Antonio BORGIA. Les bans sont publiés les 31 janvier et 7 février 1892 à Paesana et le mariage célébré le 13 février.
Je n’ai pas encore trouvé sa date ni son lieu de décès. Je continue mes investigations…
En relisant attentivement le certificat de naissance d’Agostina (merci les allegatti !) joint à l’acte de mariage, j’ai relevé la mention de l’Ospizio Infanzia abbandonata de Turin.
Il ne me restait plus qu’à suivre cette piste !
Les Archivio di Stato di Torino ne sont pas numérisées mais leurs instruments de recherche sont disponibles en ligne. C’est un peu par hasard que j’ai pu trouver l’inventaire du fonds lié à l’Istituto provinciale per l’infanzia e la maternità (IPI) qui « comprend, outre les actes relatifs aux interventions sociales, les procès-verbaux d’admission aux soins des personnes exposées à la roue de l’hôpital de Saint-Jean ou des nourrissons qui y sont nés et non reconnus, relatifs au XVIIIe siècle, les actes produits entre le XIXe et le XXe siècle par les hospices d’Aoste, Ivrea, Pinerolo et Susa réunis à l’Institut provincial de maternité et d’enfance au moment de la suppression des institutions elles-mêmes ».
Bien que fragmentaires, ces archives comportent, dans la partie consacrée à « l’Ospedale Maggiore S. Giovanni Battista de Turin et de l’Opera delle Partorienti, de l’Opera di Maternità, de l’Ospizio dell’Infanzia abbandonata (alors Ospizio Prov.le per gli Esposti, puis Istituto Prov.le per l’Infanzia), des Circondari di Aoste, Ivrea, Pinerolo et Susa, des Compagnia delle Puerpere Archives » des cotes susceptibles de contenir le dossier d’enfant trouvé d’Agostina.
Grâce aux modèles de courrier proposés par Marine (aka @danslesbranches) et Nathalie (aka @venarbol), j’ai envoyé un premier mail aux archives de Turin. Je n’ai certainement pas été assez précise dans ma demande car j’ai reçu une réponse négative qui me dirigeait vers d’autres services d’archives. J’ai donc rédigé un second mail plus détaillé (merci DeepL pour la traduction en italien) en donnant les cotes que j’avais relevées. Cette fois, la réponse a été positive ! Après le paiement par virement de la somme de 2 € (avec 4,80 € de frais !), j’ai reçu – mais pas tout de suite, ça aurait été trop facile – le dossier d’Agostina. Mais avant de vous en livrer le contenu, faisons un petit point historique.
Les enfants abandonnés en Italie
Je ne vais pas trop développer sur le sujet mais remettre un peu les choses dans leur contexte.
Ce résumé d’un article de Giovanna Da Molin, paru en 1983 dans la revue Annales de démographie historique, donne une bonne idée de la situation : « A partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle et surtout dans les premières décennies du XIXe siècle, on assiste à une très forte augmentation de enfants trouvés dans les villes italiennes. L’hospice de la ville accueillait non seulement les bébés nés dans la ville, mais aussi un bon nombre de ceux des campagnes environnantes et même des régions plus lointaines. L’exposition des enfants avait une nette tendance à augmenter pendant les mois printaniers, particulièrement en avril et mai. Les filles étaient davantage soumises au risque d’abandon. La mortalité des enfants trouvés était plus forte que celle des autres enfants, et de plus est différenciée : ceux qui demeurent à l’hospice voient leur chance de survie diminuer par rapport à ceux qui sont confiés à l’extérieur chez une nourrice. Vers 1870, on assiste en Italie à une diminution du nombre d’enfants trouvés et à une réduction de leur mortalité, due surtout à la disparition des « tours ». »
Dans cet article, elle relève que « les mois d’avril et mai représentent une période de difficulté, la période critique entre deux productions de blé, la crainte d’une mauvaise année pour l’agriculture. Dans ces conditions, l’abandon des enfants représentait une nécessité, l’alternative à une vie pleine de privations. ». De plus, elle note un écart important entre le nombre de filles et de garçons abandonnés, ces derniers étant moins nombreux. Elle avance l’hypothèse que la mortalité infantile est supérieure chez les garçons que chez les filles mais elle y voit également « un signe de discrimination envers les femmes ». Ainsi, « les garçons représentaient la force-travail en puissance, une source de gains dès qu’ils s’occuperaient comme commis, serviteurs ou dans l’agriculture » quand une fille pouvait être « un poids pour la famille, au moins jusqu’au mariage qui dépendait en grande partie de la dot dont la fille disposait. ». Cela est valable sur toutes les périodes et les zones étudiées.
Dans un autre article de Volker Hunecke, paru en 1991 dans les Actes du colloque international de Rome Enfance abandonnée et société en Europe, XIVe-XXe siècle (30 et 31 janvier 1987), on peut lire que « le cas de Turin est particulièrement instructif en ce sens, où, depuis les années 1740, il existe une institution chargée expressément d’assurer l’entretien des enfants légitimes, l’Hôpital de la Charité, qui accueille avec une relative générosité les nouveau-nés et aussi les enfants déjà âgés. Ces enfants ont été séparés matériellement et administrativement de ceux exposés anonymement à l’hôpital de S. Giovanni. Cela montre clairement qu’au milieu du XVIIIe siècle, à Turin, les enfants légitimes confiés à l’assistance publique étaient au moins aussi nombreux que les enfants effectivement exposés, pour la plupart illégitimes ». Pour la période 1863-1872, il y a eu 33268 enfants abandonnés enregistrés. En France, sur la période 1830-1839, on en comptabilisait 31688.
Dans le dossier d’Agostina
Bon, en guise de dossier, il s’agit plutôt de deux pages de registre qui ont été numérisées.
L’acte de naissance porte le n° 78917, sont indiqués ses prénoms Agostina Eurosia. Il y a dans cette case un autre numéro mais je ne sais pas – encore – à quoi il correspond (il n’apparaît pas sur toutes les autres cases de la page). En fait, elle n’a pas été exposée mais est bien né à l’Ospizio : sa date de naissance – le 15 mai 1866 à 10 h du matin – est indiquée dans la case « Nati nell’Ospizio data » et il n’y a pas de date inscrite dans la colonne « Esposti data« . Elle a été baptisée le 16 mai à 8 h du matin, si je lis bien par le « r{évérend} Piantanida« .
C’est sur la seconde page que j’ai trouvé les informations les plus intéressantes. Agostina a été placée en nourrice dès le 1er juin. Sa nourrice s’appelait Maria PERROTTO, fille de Carlo Antonio, qui vivait à… Paesana. Voilà comment, en étant née à Turin, elle est arrivée à Paesana où elle a, quelques années plus tard, trouvé son mari. Lors de sa mise en nourrice, il y a eu ouverture d’un livret qui portait le n° 15869 dans lequel ont été reportées des indications, la première du 19 juin 1878 et la seconde du 8 janvier 1880. Malheureusement, je n’arrive pas à déchiffrer assez de choses pour comprendre de quoi il s’agit réellement. J’ai l’impression qu’il s’agit de paiements mais je n’en suis pas du tout sûre ! Si le cœur vous en dit, vous pouvez essayer…
Je n’ai malheureusement pas d’autres informations sur la jeunesse d’Agostina mais je suis contente d’avoir pu en apprendre un tout petit peu plus sur ses origines.
J’aimerais maintenant trouver des informations sur Maria Perrotto pour savoir si elle a accueilli beaucoup d’enfants et sur quelle période exactement… et hop, une ligne de plus sur ma to-do list !
Sources :
- Acte de mariage d’Agostina et Antonio, FamilySearch, Paesana Matrimoni (1892), vue 12/90
- Certificat de naissance d’Agostina, FamilySearch, Paesana Allegati matrimoni (1892), vue 108/877
- Da Molin Giovanna, « Les enfants abandonnés dans les villes italiennes aux XVIIIe et XIXe siècles », Annales de démographie historique, 1983, p. 103-124. [En ligne], URL : www.persee.fr/doc/adh_0066-2062_1984_num_1983_1_1571
- Hunecke Volker, « Intensità e fluttuazioni degli abbandoni dal XV al XIX secolo », Enfance abandonnée et société en Europe, XIVe-XXe siècle. Actes du colloque international de Rome (30 et 31 janvier 1987) Rome : École Française de Rome, 1991, p. 27-72. (Publications de l’École française de Rome, 140). [En ligne], URL : https://www.persee.fr/doc/efr_0000-0000_1991_act_140_1_4447
- Instrument de recherche de l’Ospizio di Maternità, Archivio di stato di Torino
- Dossier d’enfant trouvé d’Agostina, copie transmise par Archivio di Stato di Torino
8 commentaires
Cel
Quel beau travail ! Bravo continue
Delph Valmalle
Merci Céline 🙏
Sébastien Dellinger
Bravo pour ces recherches italiennes ! Même si tu n’as pas pu retrouver les parents d’Agostina, tu lui rends un bel hommage en reconstituant certains pans de sa vie.
Delph Valmalle
Merci Sébastien pour ta lecture et ton commentaire !
venarbol
Bravo pour cette recherche qui sortait des sentiers battus ! Pour le texte du 8 janvier 1880, il me semble en effet qu’il mentionne l’envoi de 50 lires à Maria Perotto (gratification n°12).
Delph Valmalle
Merci Nathalie, pour le commentaire et pour la confirmation de ma compréhension du texte 😊
Christelle
Ah le plaisir des recherches à l’étranger ! Je trouve que tu t’en sors super bien jusqu’ici en tout cas, bravo !
Delph Valmalle
Merci Christelle ! C’est pas toujours facile mais je m’accroche… Ça rend les découvertes encore plus intéressantes 😉